dimanche 26 juin 2011

 
«… joint par téléphone»
Dans le cadre de ce cours de «communication et changements technologiques», plusieurs collègues étudiants ont analysé les médias sociaux en tant qu’innovations technologiques par rapport à la profession journalistique[1]. Certains autres ont plutôt traité du téléphone intelligent. Pour ce dernier cas, retenons d’abord le travail de Massé (2011. En ligne) qui a pour titre : «Techno portable et avenir du journalisme». Il y exprime ses inquiétudes face à la révolution médiatique. « J’ai beaucoup de mal à voir disparaître (tranquillement, mais surement[sic]) le papier, que ce soit dans la littérature ou dans les médias traditionnels d’information. Certainement, on n’est pas à la veille de voir le livre et le journal disparaître complètement dans un autodafé global. Toutefois, comme on a dû s’adapter au DVD quand le VHS est disparu, ou au DC quand le vinyle est devenu désuet, je crois qu’il faudra changer nos habitudes pour ces nouvelles technologies.» Ensuite, Anne-Laurence (2011. En ligne) a, dans son essai, conclu par d’autres questions fort intéressantes sur l’avenir du journalisme en lien avec le téléphone : «Est-ce que le journalisme deviendra définitivement numérique? Si oui, quels outils utiliseront-ils, si la tablette ne se fait pas découvrir à son plein potentiel ? Est-ce que le téléphone intelligent restera le principal outil de reportage ? Comme le mentionnait Roulet, la tablette sauvera-t-elle le métier ainsi que la presse en entier ? Le public est-il vraiment prêt à une telle révolution ?»
Ce présent travail porte sur le téléphone, pris dans son ensemble, et la pratique du journalisme. Il ne s’agit pas de l’usage qu’en font de nos jours les millions d’utilisateurs devenus journalistes occasionnels. Nous parlons de l’utilisation du téléphone dans le journalisme professionnel. Les contours de la problématique sont inépuisables. Nous nous pencherons ainsi sur des aspects qui méritent encore une attention particulière, notamment la complémentarité du téléphone avec les autres outils de journalisme.
Complémentarité technologique
On connaît les fonctions élémentaires ou traditionnelles du téléphone :  il est conçu pour émettre et de recevoir des appels, il permet d’écrire des messages textes et de lire ceux envoyés par les interlocuteurs. Les nouvelles applications apportées par le développement de la technologie n’ont fait que bonifier ces fonctions. Seulement, l’heure est aux réseaux sociaux. Ceux-ci ont envahi la vie quotidienne de plus d’un milliard de personnes sur la planète.
Cependant, on peut affirmer sans risque de se tromper, qu’aucun média ne détient aujourd’hui le monopole de l’information ; ni la radio, ni la télévision, encore moins la presse écrite. Qu’est-ce qui explique cela ? L’information ainsi que le métier qui y était rattaché sont devenus une denrée commerciale libéralisée, voire popularisée. Dès qu’il se produit un événement, on en retrouve la nouvelle sur tous les canaux, aussi bien les traditionnels que les ultra modernes. Quand il y a eu, par exemple, le mariage princier en Grande Bretagne le 30 avril 2011, les journaux de la presse écrite l’ont relaté, les radios l’ont commenté, les télévisions du monde l’ont montré, les facebookeurs l’ont relayé, les twitteurs ont twitté, Internet s’est prêté aux publicitaires et aux  relationnistes de l’événement. Et le téléphone dans tout ça ? Qu’il soit cellulaire, mobile ou fixe, il a été présent, discret mais efficace ; il a permis aux journalistes de faire leur travail. Comme dans une symphonie musicale, chaque outil a joué sa partition. Il en est ainsi désormais dans cet univers rendu petit par les technologies de l’information et de la communication. Nous voyons ici une belle illustration du modèle orchestral que Yves Vinkin[2] a appliqué à la communication sociale. Les organes de médias eux-mêmes ne se contentent plus d’un seul canal. Que ce soit la presse écrite, la radio ou la télévision, la tendance est à la multiplicité, c'est-à-dire, avoir un site Internet, une page Facebook, un compte Twitter, etc. Elle est révolue, l’époque où les grands médias pouvaient se sentir suffisants en eux-mêmes
Journalisme via téléphone ou «phone journalism» ?
Malgré l’assaut des réseaux sociaux dans l’univers journalistique, le téléphone demeure un outil indispensable pour faire du journalisme. Il est encore un outil de première nécessité pour le journaliste.
Évidemment, le téléphone à lui seul ne peut pas produire un journal, quoique les développements technologiques actuels tendent à lui offrir cette possibilité. Il est tout aussi vrai qu’un individu pris tout seul ne constitue pas un organe de presse.
Le téléphone intervient également dans la recherche et la collecte des informations. Bien sûr là aussi, Internet et Twitter sont des sources qui coulent à flot. En effet, des quantités d’informations y sont déversées sans arrêt et les journalistes y puisent abondamment. Mais le téléphone intervient quand arrive l’heure du bouclage des articles, lorsqu’un journaliste doit recouper une information délicate ou de dernière heure. Notons que pour beaucoup de pays émergents la retransmission d’événements en direct se fait encore par téléphone.

Le téléphone, le correspondant de presse et, l’information aujourd’hui
Il s’agit ici, d’évoquer le rôle et l’utilité du téléphone chez les correspondants de presse, locaux et internationaux. On a souvent cité la radio, la télévision et Internet parmi les médias producteurs d’information. On a également vanté le rôle des réseaux sociaux dans la transmission journalistique de l’information. Mais que serait le Web dans cette production sans le téléphone ? Que deviendrait la télévision dans la diffusion des informations sans le téléphone ? Ou la radio dans les émissions, sans le téléphone ?
Quand vous mettez en marche votre poste téléviseur à l’heure du journal, vous ne pouvez écouter le menu jusqu’au bout sans qu’il ait un reportage téléphonique. «…joint par téléphone à …», ça vous dit quelque chose, cette formule ? Et que dire des événements et des moments où il est difficile de capter des images.
Le vidéo ci-dessous donne un exemple de reportage téléphonique lors de la crise en Côte d’Ivoire, d'abord entre journalistes (Vidéo 1) et entre journalistes et sources (vidéo 2).
 


Le téléphone, un outil de rendez-vous journalistiques, entre les journalistes et leurs sources, d'une part, et les journalistes et leurs agences, d'autre part. Le téléphone a toujours servi dans la salle de rédaction des organes de presse.
La tendance actuelle est que les gens se déplacent beaucoup moins sur le terrain. On fait beaucoup d’entrevue au téléphone comparativement si on remonte à une vingtaine d’années où, le journaliste se déplaçait plus souvent. Le fait d’être joignable tout le temps, et que les sources elles-mêmes ont des cellulaires fait qu’il y a une instantanéité qui permet de sauver du temps. Les sources aussi peuvent joindre constamment les journalistes quand il a une nouvelle «à vendre». Toutefois, cela n’est pas du goût de tous les journalistes. C’est une question de génération ! Certains estiment qu’ils sont prisonniers de devoir répondre, rapidement, tout le temps. Vous n'avez pas d’excuse dans la mesure où votre interlocuteur sait que vous avez un cellulaire !
Outil de terrain, très discret, quand c’est le cellulaire, le téléphone conserve un caractère plus relationnel ou disons, plus communicationnel en ce sens qu’elle permet à l’auditoire d’entendre la voix de celui qui parle, et à travers cette voix, reconnaître un visage, deviner un état d’âme.
Valérie Gaudreau, journaliste au quotidien LeSoleil témoignage : «C’est très utile, j’ai un téléphone intelligent. On est constamment joignable, disponible. Les avantages sont nombreux de part et d’autre : les gens qui travaillent à la mise en page arrivent à nous joindre facilement pour demander des modifications aux textes ou d’autres choses. Ça facilite le travail réduit la marge d’erreur. Il y a quelques les années de cela, si un journaliste étaient parti à un spectacle et qu’il rentrait chez lui à minuit, on ne pouvait plus le joindre. Des erreurs pouvaient demeurer à cause de cela. Maintenant, ce n’est plus un problème ; on le joint tout le temps. Un autre cas qui montre que le téléphone est un outil de presse essentiel : je peux être en pleine conférence de presse avec une personnalité et un collègue m’envoie un sms ou m’appelle pour demander de questionner le conférencier sur un point particulier. Quelques fois je suis en circulation et le patron m’envoie un communiqué de presse sur mon téléphone. Alors qu’avant, il y a quelques années à peine, même si Internet existait, il fallait d’abord arriver au bureau, allumer son ordinateur et brancher la connexion Internet pour pouvoir accéder à son courriel. Maintenant les courriels sont sur le téléphone.»
Un média audio à la fois au service de la radio et de la télévision. La voix narrative ou explicative d’un envoyé spécial est plus rassurante. C’est une voix de témoin, puisque celui qui parle au téléphone est présent sur les lieux ou plus proche. Pensons à Radio Canada qui chaque matin, grâce aux appels téléphoniques du journaliste Marc André, nous livre un panorama de la circulation routière. Ce qui n’est pas faisable avec les autres outils de communication. Les nouvelles, on peut les lire sur le Net et les réseaux sociaux, toutefois, elles demeurent anonymes ; elles sont dépersonnalisées.
Le téléphone a aussi sa place et son rôle dans les émissions radio en direct. C’est un moyen pour les auditeurs d’interagir avec les animateurs. On rétorquera certes, qu’Internet aussi permet cette interaction. Mais tout le monde n’a pas accès à la diffusion continue sur Internet.
Réseaux sociaux, oui, mais…
L’expérience de Valérie Gaudreau, citée plus haut, lui permet de dire que «pour l’instant les réseaux sociaux en termes de transmission d’informations sont encore marginaux». Pour elle, le téléphone demeure encore l’outil N°1 ; car, affirme-t-elle, «pour une recherche ou pour des enquêtes, si on envoie un courriel à 11h le matin et qu’on ne tente pas une relance par téléphone, on peut être surpris, au moment venu, de ne pas recevoir de réponse».
Idéalement, pour réaliser une interview, le journaliste procède par courriel pour sonder le terrain, faire une première approche. Après le téléphone prend le relais.
Twitter est utile mais pour ce qui est de prendre contact avec les gens, les rencontres personnelles sont idéalement souhaitées ou à défaut, le téléphone. Les avantages de Twitter sont sans doute énormes, comme l’explique Stéphanie Alcaraz Robinson (2011) : «La facilité de publication, l'accessibilité presqu'instantanée[sic], la gratuité de l'accès à l'information [qui] le rend très alléchant pour tous les utilisateurs, en passant du simple citoyen, à l'entreprise millionnaire ou au politicien cherchant des appuis.» Cependant le téléphone reste toujours d’actualité. Par ailleurs il peut y avoir des conflits professionnels entre les journalistes et leurs organes de tutelle, du fait que les premiers ont des pages personnelles sur lesquelles ils diffusent des nouvelles. C’est pour éviter tout désagrément que, par exemple les responsables du quotidien LeSoleil ont fait la recommandation suivante : «À moins d’une entente préalable avec un supérieur, les journalistes devraient tendre à rédiger un ‘’breaking news’’ pour notre site Internet avant de diffuser une nouvelle importante dans leur champ de compétence sur Twitter ou Facebook.[3]»

Faudra-t-il alors que les journalistes deviennent des «touche-à-tout» ? C’est notamment la position de Prévost, 2011) pour qui «les journalistes semblent condamnés à devenir non seulement des adeptes du multitâche, mais également des professionnels des médias sociaux. Gestion de communauté, tri des commentaires, ajout de contenu destiné exclusivement au web : le tout donne l’impression que le temps alloué à la recherche d’informations, à la vérification et à la production même de contenu journalistique est en train de disparaître. » (Voir l'image ci-dessus)

Certes, la prolifération des outils d’information et de communication peut donner lieu à beaucoup de supputations. De même qu’on a pensé à la fin du journal format papier, on présage aussi la fin d’une forme de journalisme. Mais nul ne peut prédire de si tôt une telle fin. C’est vrai que la panoplie de technologies oblige le journalisme actuel à se renouveler pour ne pas disparaître. Mais aucune des tentatives d’adaptation n’a réussi à écarter totalement le téléphone ; mieux, celui-ci s’insère harmonieusement dans le concert des médias.


Notes :
[1] Voir notamment les blogues de Gabrielle Gagnon et de Anne-Laurence Jean.
[2] Selon Yves Vinkin (2005 : 95), «la communication sociale se laisse se laisse appréhender par l’image de l’orchestre. Les membres d’une culture participent à la communication comme les musiciens participent à l’orchestre. Mais il n’y a pas de chef et pas de partition : ils se guident mutuellement les uns les autres».
[3] Il s’agit d’une politique interne du journal Le Soleil, division de GESCA Limitié. Sur cette question, vous trouverez un commentaire de Patrick Lagacé sur son blogue : http://blogues.cyberpresse.ca/lagace/2010/10/05/le-journaliste-de-la-presse-et-les-medias-sociaux/

Bibliographie
Gagnon Gabrielle. 2011 «L'influence de Twitter sur le journalisme». En ligne. < http://gabrielle-gagnon.blogspot.com/>.consulté le20 juin 2011.

Jean, Anne Laurence. 2011. «Tablette numérique et journalisme». Mise à jour le 16 juin 2011. <http://anne-laurencej.blogspot.com/> Consulté le 20 juin 2011.

Stéphanie Alcaraz Robinson. «Mini essai 1». En ligne le 5 juin 2011 <http://stephulaval.blogspot.com/2011/06/mini-essai-1.html>. Consulté le 20 juin 2011.

Vinkin, Yves (2005). «Vers une anthropologie de la communication». In Cabin, Philippe et Jean-François Dortier. La communication : état des savoirs. Auxerre Cedex : Sciences Humaines, pp. 95-102

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